La photographie en Cerf Volant : retour en 1889, l'année de la Tour Eiffel

 

Dans la revue " La Nature ", Gaston Tissandier décrit l'invention d'un amateur pour le moins éclairé, suivons-le en n'hésitant pas à relire plusieurs fois sa description pour parfaitement visualiser le mécanisme d'une ingéniosité incroyable à base de bouts de ficelle, caoutchouc et amadou...

" Dans le courant de l'année 1888, nous avons annoncé qu'un habile amateur, M.Batut, avait construit dans le Tarn un cerf volant muni d'un appareil photographique et nous avait fait parvenir l'une de ses premières images, impressionnante, bien que légèrement floue.

Encouragé dans ses recherche, M.Batut a obtenu des résultats surprenants. Voici le dispositif exact du cerf-volant photographique tel qu'il apparaît dans la vue ci-contre.

Ce cerf-volant qui a la forme d'un losange de 2,50 m de longueur, est muni d'une longue queue lui assurant une parfaite stabilité. La petite chambre photographique A est fixée à l'arête de bois du cerf volant par un support triangulaire D.

L'appareil photographique est muni d'un obturateur qui fonctionne au moyen d'une mèche d'amadou C, produisant le déclenchement en brûlant un fil, quand la combustion est arrivée à la partie supérieure de la mèche. La corde d'attache du cerf volant est reliée à un trapèze T, convenablement fixé afin qu'aucun élément du cerf volant ne soit présent devant l'objectif.

Un baromètre anéroïde enregistreur B est fixé à la partie inférieure du support D, de sorte que l'opérateur peut avoir l'altitude à laquelle le cerf-volant s'est élevé au-dessus du sol.
Le baromètre employé par M. Batut est très ingénieux : il constitue un enregistreur photographique qui fonctionne en même temps que la chambre noire. Ce baromètre est enfermé dans une boite étanche à la lumière. Une ouverture, fermée par un obturateur à guillotine, fonctionne à l'aide d'une mèche en combustion, en même temps que l'appareil photographique. Au moment de l'ouverture, les rayons lumineux frappent le cadran et impriment, sur un papier sensible dont le cadran a été muni, l'ombre des deux aiguilles, aiguille du mécanisme et aiguille index.
L'obturateur dont est muni l'appareil photographique est une simple guillotine à ouverture carrée. La planchette, très légère, est actionnée par deux forts caoutchoucs, et sa tête est garnie de parchemin qui, en pénétrant dans les rainures, empêche tout effet de rebondissement. Le cran d'arrêt de la planchette est formé par un loqueteau de bois fixé en son milieu par une vis. Une extrémité de ce loqueteau vient fermer la rainure par laquelle doit passer la planchette. L'autre extrémité est maintenue par un fil solidement attaché qui traverse l'un des bouts d'une mèche d'amadou. Sous ce fil, l'opérateur place une banderole de papier repliée sur elle-même. Lorsque le feu de la mèche arrive au fil, celui-ci se brûle : le loqueteau, cédant à la poussée de la planchette s'écarte de la rainure, et l'obturateur fonctionne avec une vitesse de 1/100° de seconde. En même temps, la banderole de papier tombant dans l'espace se déroule et annonce à l'expérimentateur qu'il peut ramener le cerf-volant à terre. Le petit appareil photographique dont il est pourvu pèse 1200 g. L'objectif a 0,166m de foyer. Il a fonctionné à pleine ouverture. La baisse barométrique enregistrée de 10, 25 mm nous indique que la vue a été prise à 127 mètres d'altitude le 13 février 1889 à 11h du matin.
Cette photographie, ici reproduite représente la ferme d'Enlaure en plan est d'une grande netteté.
Nous félicitons M. Batut des résultats qu'il a obtenus et qui semblent ouvrir une nouvelle voie à la photographie appliquée. " Gaston Tissandier

On notera que la gravure du cerf volant est signée Poyet, Louis, qui était l'oncle de Jean Poyet, notre photographe sparnacien, et qu'alors que la photogravure existe déjà à cette époque, la revue " La Nature " restera fidèle à ses dessinateurs et graveurs jusqu'aux premières années du XX° siècle

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