Le fonds Poyet au jour le jour, les invasions de l'histoire
 la RAF arrive dans la région d'Epernay le 27 septembre 1939 – Le  27 avril 1940  les anglais sont chassés par les troupes allemandes.
Pascal Pécriaux nous conte sa perception de ces quelques mois dans le fonds photographique Poyet :
« Explorer les clichés du fonds Poyet en suivant strictement l’ordre chronologique des clichés finit par donner l’impression de prendre ses quartiers dans la boutique de la rue Gambetta :
la sonnette de la porte d’entrée tinte, et, visiteur après visiteur, c’est toute la vie de la ville et de la campagne qui entre avec eux, le rythme de l’existence, les joies et les fêtes. Bébés
plus ou moins dodus tout nus sur un coussin, communiantes en robe blanche, collégiens en uniforme, jeunes filles rêveuses ou mutines, mariés solennels, et même parfois défunts sur leur
lit de mort, toutes les étapes de la vie s’impriment sur les plaques de Monsieur Poyet. Tout autant s’y fixe la diversité du quotidien et le long fleuve tranquille des travaux et des jours,
employés du chemin de fer ou de la banque, les premiers en casquette règlementaire, les seconds de face et de profil comme pour un fichier anthropométrique, négociants de champagne
prenant la pose qui sied à leur statut, commerçants parfois saisis sur la porte de leur commerce, campagnards de passage un jour de marché, c’est la vie de tous les jours d’Epernay et de 
ses environs qui se déroule sous nos yeux. Rien ne semble pouvoir en détourner le cours. Mais l’Histoire, la Grande Histoire s’invite parfois dans ce microcosme. Ce n’est parfois qu’une
intrusion furtive, comme au début des années 20 ces soldats italiens qui ne sont pas encore rentrés au pays, ou les nombreuses reproductions de portraits de militaires, disparus dont les 
familles veulent conserver et partager le souvenir.
Mais quand les orages grondent, quand le ciel s’obscurcit et que le décor de la tragédie se met en place, l’histoire entre en force dans les clichés du studio. Un signe avant-coureur pour
qui sait les déchiffrer annonce les jours sombres : la multiplication des photos d’identité en 1939. Pour quelles pièces d’identité ? Passeports, cartes d’identité, permis de circulation,
cartes professionnelles ? Une chose est sûre : chacun sait qu’il ne suffit plus d’être reconnu dans son village ou son quartier, qu’il va falloir justifier de son identité, de son domicile,
de son statut auprès de tout ce qui dispose de quelque autorité.
Et puis, tout d’un coup, à l’automne 1939, la guerre est là, mais elle prend un visage surprenant, celui de l’armée britannique. Du 22 septembre 1939 au 27 avril 1940, près de 400 militaires
vont passer devant l’objectif de Monsieur Poyet. Alors, l’archéologue de l’image essaie de comprendre quelle histoire ces clichés racontent. Il devient fureteur, internaute, découvre
le Musée du Terrain d’aviation de Condé-Vraux, et il apprend, et il s’étonne, et il s’émeut.
Il apprend qu’au début de la guerre, des escadrilles de bombardement de la RAF ont été stationnées dans notre région, à Reims, Vraux, Bétheniville et Plivot. Ce dernier a reçu le
Squadron 103 de novembre 1939 à février 1940, date à laquelle il est parti pour Bétheniville, permutant avec le Squadron 139.

                                 Bleinheim                               squadron 139

                                 Le Bristol Blenheim est un bombardier léger britannique qui équipe le Squadron 139

                                         squadron 103                                     Fairey Battle
Le Fairey Battle est un avion britannique du type chasseur bombardier ayant participé à la seconde guerre mondiale
Après la campagne de France en 1940 cet appareil fut déclassé, car il était trop lent et trop vulnérable face aux chasseurs allemands et à la Flak . Il ne participa plus aux opérations militaires et fut utilisé 
comme avion de liaison ou d'entraînement.
Donc, très normalement, beaucoup de photos d’aviateurs, mais il faut examiner les badges et les insignes pour différencier pilotes, observateurs, mécaniciens, radios, mitrailleurs. 
On apprend au passage que le Squadron 103 vole sur Fairey Battle (bombardier léger) et le 139 sur Bristol Blenheim (bombardier moyen), tous deux emportant un équipage de trois personnes.
Outre les aviateurs, figurent des militaires portant sur l’épaule des initiales qu’il faut apprendre à lire : RE pour Royal Engineers (les sapeurs du Génie qui construisent les pistes), 
RASC (Royal Army Service Corps, qui assure logistique et intendance), RAMC (Royal Army Medical Corps : service de santé. Il y a d’ailleurs plusieurs photos d’infirmières),
RA (Royal Artillery, qui assure la DCA de protection de l’aérodrome), sans compter le Chaplain (l’aumônier, reconnaissable à son col droit). Dans la série de photos se faufilent des militaires français,
fantassins pour l’essentiel, et un aviateur.

                                                           

                     Le 21 octobre 1939, ils sont photographiés en groupe par jean Poyet                           Le 12 février 1940. Dans deux mois, les Allemands les auront chassés.

                                                     

                                                                             Mr.le Révérend Caens, en tenue ecclésiastique le 1° avril 1940        Mr. Wall, le 25 novembre 1939  Mr.Creak, le 29 novembre 1939  

                                                                                   
                                                                                                                                     Miss Hurter, le 20 avril 1940                 Mr Bray

C’est l’époque de la Drôle de Guerre : les poses sont joyeuses, les portraits aussi artistement composés qu’en temps de paix. Les moustaches sont cent pour cent british, certains se font
photographier à la seule lumière du feu qui allume leur pipe, l’artilleur pose de profil avec un regard dans le vague et coiffé de son casque plat qui le fait ressembler à ses ancêtres de la
Guerre de Cent Ans, plusieurs sont en groupes de trois, sans doute des équipages, et le 21 octobre, une quinzaine d’aviateurs pose comme pour une photo de club autour d’un magnum 
de Mercier Cuvée M33.

A regarder tous ces visages, ce qui étonne dans ces photos de guerre, c’est justement son absence. Les visages sont lisses, innocents, insouciants, fiers mais sans arrogance. Et surtout,
pour beaucoup, incroyablement juvéniles. Cette guerre est si loin maintenant, nous nous souvenons de ses acteurs comme de vieux messieurs. C’est une redécouverte toujours autant
poignante que de voir sur ces visages que ce sont pour l’essentiel des équipages de garçons de 20 à 23 ans qui volaient dans ces appareils. Rien dans leurs regards, dans leurs attitudes 
ne laisse deviner que dans quelques semaines certains ne seront plus qu’un nom sur un mémorial et une douleur inexprimable pour leurs proches. 70 ans après, un témoignage émouvant 
se trouve encore sur internet, celui du jeune cousin d’un de ces aviateurs morts au début de la guerre. Il avait pris l’habitude d’aider son oncle fleuriste dans ses livraisons. Jamais ce dernier,
pas plus que son épouse, murés dans leur deuil, ne lui dit un seul mot sur le disparu et ce n’est que des décennies plus tard qu’il dût s’en remettre à internet pour essayer de savoir et de 
comprendre comment, pourquoi, où…
Lt Hilton

Lt Hilton   
Avant même le début de la bataille, les entraînements prennent leur part de vie : dans la nuit du 26 au 27 avril 1940, le Fairey Battle du sous-lieutenant Hinton, accompagné du sergent Findley et de l’aviateur Sharpe, percute un rideau d’arbres en vol de bombardement à basse altitude sur le terrain militaire de Moronvilliers (accident relaté par Hervé Chabaud dans l’Union du 19 octobre 2011). Ian Percival Hinton s’était fait photographier par Monsieur Poyet la veille de Noël 1939.

Au Musée de Vraux se trouve un objet aussi simple qu’émouvant : la porte du dortoir qui a hébergé des mitrailleurs du Groupe B du Squadron 103 puis du 139, ces derniers y ayant gravé leurs neuf noms. Cinq ont été tués pendant les quelques semaines où leurs appareils ont été engagés pour tenter d’enrayer la ruée allemande sur la Meuse et les Ardennes.

Ceci rappelle que lorsque la Drôle de Guerre est devenue en quelques heures le Blitzkrieg, le tribut payé par les Alliés a été énorme.
Pour la RAF, ceci provient surtout d’une raison technique : les Fairey Battle, mis en service en 1937, étaient le dernier cri de l’aéronautique britannique. Malheureusement, des modifications 
en cours de conception (dont l’ajout d’un troisième membre d’équipage) le rendirent beaucoup trop lent pour échapper à la Flak (DCA) et aux chasseurs allemands et de plus armé de mitrailleuses 
d’une portée insuffisante. Le Bristol Blenheim, conçu comme avion de transport, puis modifié en bombardier moyen était plus rapide, mais armé des mêmes mitrailleuses que le Battle, et 
déjà proche de l’obsolescence. C’est l’appareil britannique qui a perdu le plus d’équipages. La RAF perdra 200 bombardiers légers dont 99 en une semaine de mai 1940.  

Au fil des recherches, d’autres destins surgissent. Un des plus étonnants est celui de James Chilton Francis Hayter, du Squadron 103, photographié par Monsieur Poyet le même jour que le sous-lieutenant Hinton.

Néo-Zélandais, né le 18 octobre 1917, il est breveté le 19 avril 1939, s’embarque pour l’Angleterre le 14 juillet et est immédiatement affecté à une escadrille de bombardement. Il passera à la chasse en septembre 1940. Au cours de sa carrière aéronautique, il aura la particularité d’avoir enregistré huit victoires aériennes et d’avoir eu autant de crashes ! Ses états de service précisent que le 26 octobre 1940, alors qu’il venait de toucher un Messerschmidt 109, il fut touché à son tour et dut sauter en parachute de son Hurricane à 8000 mètres d’altitude. Sa biographie ajoute : Il se posa dans les jardins de Great Swifts, résidence du Major Victor Cazalet, alors que s’y tenait une cocktail-party. Il y fut invité. Après la France et l’Angleterre, il fut affecté en 1942 en Afrique du Nord puis en Turquie, en 1943 en Iran, puis en Crète et sur l’île de Cos que les Allemands envahirent le 29 juillet. Avec quatre autres aviateurs, il put se réfugier dans la montagne, fut évacué clandestinement par bateau sur Chypre et reprit son service en Egypte. En 1944, son escadrille revint en Angleterre puis fut envoyée en France le 19 août : la boucle était bouclée… le 1er janvier 1945, il devenait instructeur en Angleterre et à la mi-août retournait en Nouvelle-Zélande. Fin de l’histoire. James retourne à sa ferme, il continuera à piloter comme garde-côtes. Il est décédé le 3 octobre 2006.

James Chilton

James Chilton
Que nous reste t-il de ces jeunes gens qui ont foulé l’herbe du terrain d’aviation de Plivot et poussé la porte de Monsieur Poyet ? Des négatifs oubliés, qui ont failli disparaître à jamais.
En mai 1940, la poussée allemande chasse les survivants de la RAF vers l’ouest : ceux qui n’ont plus d’avions s’entassent dans des camions, vers la Bretagne ; dans certaines escadrilles, 
il n’y a plus de pilotes mais il reste des appareils. Des mécaniciens, des observateurs, des radios, des mitrailleurs s’improvisent pilotes et arrivent à ramener tant bien que mal les Battle 
et les Blenheim en Angleterre. Le 24 mai, les Anglais retraitaient vers Dunkerque, laissant les Français à un contre deux face aux Allemands. Le 9 juin, malgré une résistance acharnée,
ceux-ci étaient à Rouen et à Vernon. Le même jour, dimanche 9 juin 1940, Monsieur Poyet écrivait dans son agenda " évacuation forcée, départ St Martin à 20 h 1/2 avec les amis Pithois." 
Jusqu’au 1er septembre, le studio va rester, comme toutes les maisons évacuées, inoccupé, portes non verrouillées, sans surveillance. Quels pillages, quelles déprédations va-t-il constater ?
Dieu merci, les plaques de verre n’intéressent pas les pillards et les négatifs vont traverser la guerre sans dommage.


Et dans le registre, où Monsieur Poyet a noté le 27 avril 1940 le nom de l’aviateur Baker et l’adresse «  RAF, 74, Hungerford Road, Lower Weston, Somerset », on lit « envoyé le 22 janvier 1949 »
Les portraits de l’aviateur Baker et de ses frères d’armes sont sortis de l’ombre l’instant d’une numérisation. Le Musée de Vraux entretient la mémoire de la page d’histoire qu’ils ont écrite.
Plivot est toujours un aérodrome, héritier et débiteur de ces jeunes gens. En Angleterre et en France, des particuliers, des associations et des institutions entretiennent leur mémoire 
et collectent informations et documents. Laisserons-nous retourner dans l’oubli les visages de ceux qui ont vécu ici, chez nous, des heures dramatiques et héroïques ? »

Pascal Pécriaux

Retour à la page d'accueil du site