La carte postale illustrée. Procédés d'impression 1908. Extrait de la revue Le Cosmos du 14 novembre 1908.
                                                                                                                          

    Carte postale expédiée de Saint-Paul-sur-Ubaye le 15 septembre 1874 à destination           de  Gap.

 La carte postale acquiert ses lettres de noblesse lors de l'Exposition universelle de 1889, où une carte dessinée par le graveur Léon-Charles Libonis représentant la tour Eiffel fut vendue
à 300 000 exemplaires.

La carte postale illustrée, née d'un caprice de la mode et de l'ingéniosité de ceux qui se chargent d'entretenir ces caprices, a joui, pendant la période qui a pour centre l'exposition universelle de 1900, d'une vogue inouïe que ses promoteurs même n'avaient pu prévoir.
Ce fut une passion, j'allais dire une maladie.
Partout, mais principalement en France, des maisons commerciales, occupant un personnel nombreux, virent le jour et se consacrèrent à l'impression et à la vente de ces petits cartons historiés au goût du jour. Les monuments,  les paysages, les actualités, les personnalités en vedette, la caricature, les reproductions florales, la ménagerie domestique et sauvage, la politesse, l'amitié, que sais-je encore ? eurent les honneurs de la carte postale. Les marchands  d'albums firent fortune, et des salons mondains aux logis ouvriers, la reine de la mode étendit son empire.
Puis, par degrés, le beau feu s'éteignit. Il y eut des craquements dans la maison, et de sa place triomphante la carte redescendit bientôt dans le domaine des usages courants.
Certes, elle est loin d'être morte ; les facteurs en savent quelque chose, et tout le monde connaît cette affiche-réclame d'une grosse maison d'édition, où le piéton, dont la boîte déborde de cartes postales, exhale, le poing dressé,  ce cri du cœur : "Oh ! ces cartes postales!"
Mais que de chemin parcouru à reculons !
Faisant fi des lamentations très injustifiées, la mode étant par essence fatalement changeante et volage, il serait peut-être intéressant de prendre à leur naissance et de suivre dans leur course ces jouets légers des petits  et grands enfants.
Nous pourrons négliger la plupart des fantaisies et des actualités, hélas ! presque toujours sans goût, et qui sont du reste à l'agonie, pour nous occuper seulement, dans cette brève étude, des deux branches de l'industrie cartophile encore à l'ordre du jour :
La vue phototypique ou photogravée.

La carte postale au bromure.

Les grandes villes seules eurent d'abord les honneurs de la carte postale, encore la vue se trouvait-elle presque toujours reléguée dans un angle, et les amoureux des longues correspondances avaient une assez large place où narrer leurs impressions. Ces cartes seraient maintenant d'une vente impossible ; la mode exige que la vue occupe la totalité du recto, et l'administration postière s'est vue contrainte d' autoriser la correspondance au verso, à côté de l'adresse.
Actuellement, les moindres villages ont leur collection, quelle que soit la banalité des sites.
Les grand éditeurs se chargent par eux-mêmes des villes importantes. Ils envoient leurs photographes par les boulevards et les rues et choisissent parmi les bons clichés ceux qu'ils impriment et vendent directement aux débitants  par paquets de 50 à 1000 exemplaires et plus, d'une même vue ou de vues assorties.
Pour les localités moins importantes le procédé change. Des courtiers vont s'entendre avec les papetiers, buralistes, tenanciers de bazars, et leur font un marché de plusieurs milliers de cartes. Des opérateurs arrivent avec leur matériel,  prennent les vues au choix du client. Les maisons d'édition impriment et, la commande terminée, expédient à l'acheteur le stock entier. Leur besogne n'est donc plus, en quelque sorte, qu'un travail intermédiaire.

Phototypie : le premier procédé de tirage des cartes postales.

La phototypie, plus savamment "photocollographie" est basée sur l'emploi de la gélatine bichromatée, étendue sur glace dépolie (procédé Albert) ou sur cuivre (procédé Tessié du Motay) et rendue propre à l'encrage par  l'intervention de la lumière. La Glace- ou la plaque de cuivre- revêtue d'une couche rigoureusement adhérente de gélatine, est plongée dans une solution de bichromate de potassium à 3 %, séchée dans l'obscurité, puis impressionnée à la lumière par  le négatif de la vue à reproduire, en enfin lavée à l'eau pure.On obtient ainsi des clichés qui sont fixés par 20 ou 24 ou même plus dans le châssis d'une machine à imprimer assez semblable aux machines typographiques. L'encrage se fait mécaniquement comme dans ces machines.
L'encre grasse étendue par le rouleau sur les plaques gélatineuses ne prend que dans les régions de ces plaques qui correspondent aux parties lumineuses du négatif primitif ; les autres régions, que les parties opaques du phototype ont protégées de la lumière, restent humides et ne prennent pas l'encre.
On comprend bien qu'un papier blanc amené par la machine et appuyé fortement sur les clichés, recevra l'exacte reproduction de l'image à multiplier.
L'encrage se fait en noir, en bleu, en bistre ou en quelque autre couleur. On obtient d'assez jolis effets de coloris en travaillant le papier avant l'impression phototypique. Sachant quelles vues il recevra, on repère soigneusement sur la feuille la place où viendront s'imprimer les différents détails de la vue, on grave sur pierre en légères ombres et on tire par le procédé lithographique. On obtient ainsi des fonds, verts pour les arbres, jaune clair pour les rues, etc…,etc…
On tire ensuite phototypiquement, comme d'ordinaire, les traits noirs venant par un repérage minutieux, s'appliquer sur les fonds colorés. On obtient aussi de jolis effets d'ombre en tirant la même vue avec deux encres différentes, ton sur ton, bleu foncé sur bleu pâle, vert russe sur vert d'eau, etc…
Photogravure

On opère d'après une vue positive sur papier que l'on tire à nouveau sur une plaque au collodion en interposant entre l'objectif et la plaque un quadrillage très fin, gravé sur verre. L'image obtenue est composée d'une série de petits points qui correspondent aux vides du quadrillage. Le négatif sur collodion est ensuite pelliculé, et derrière cette pellicule est insolée une plaque de cuivre recouverte d'un mélange de colle de poisson, d'albumine et de bichromate d'ammonium dissout dans l'eau. Après insolation, on dépouille l'image à l'eau froide, puis à l'eau chaude, à nouveau à l'eau froide, et enfin dans l'alcool. Une fois sèche, on la cuit. On plonge alors la plaque de cuivre ainsi impressionnée dans une solution de chlorure ferrique ; cette solution attaque le cuivre dans les parties non recouvertes par l'enduit albumineux ; les blancs de l'original viennent alors en creux, et les noirs en relief. On tire une épreuve, et si elle n'est pas assez nette, on fait une nouvelle morsure après avoir nettoyé le cliché à l'essence de térébenthine pour enlever l'encre. Le cuivre est alors découpé et fixé sur un bloc de bois. On s'en sert comme d'une forme typographique ordinaire pour les tirages sur rotative ou sur minerve, par unité, par deux, par quatre et tous autres multiples. Les tirages importants par 24 ou 32.
Les clichés photogravés sont généralement connus sous le nom de similis. Ils présentent un grave inconvénient : il est, en effet, nécessaire de les tirer sur des papiers barytés, papiers couchés ou au moins satinés.
En effet, si l'on utilisait des papiers à grain, si menu que soit ce grain, ou même simplement des papiers mats, il se produirait ceci : ceux des points formant l'image sur le cliché qui se trouveraient sur des inégalités creuses du papier ne viendraient pas au tirage. Il y aurait des manques. Or le papier glacé présente cet inconvénient énorme, de boire l'encre, ce qui produit le plus fâcheux effet. Aussi, la simili n'est-elle employée que pour les cartes postales à bon marché.
Pour la reproduction à grande échelle, qui fatiguerait les clichés, on reproduit ces derniers sur cuivre à un certain nombre d'exemplaires par les procédés galvanoplastiques ordinaires.

Procédés photomécaniques au bromure

Voici le tirage photographique par excellence. En effet, il ne s'agit plus comme dans les cas précédents, de la reproduction d'une vue sur un cliché phototypique ou photogravé, destiné à multiplier la vue par un tirage à l'encre. Ici, le négatif photographique agit directement sur le papier sensible et le tirage ne diffère, en somme, des procédés courants de la photographie que par sa perfection, son ampleur, et l'emploi de la machinerie.
On se sert pour les tirages au bromure, de papier fort, baryté. Ce papier est soumis à un surbarytage, puis émulsionné par des bains spéciaux dont la formule est rigoureusement tenue secrète. Il est ensuite séché. Ces opérations ont généralement lieu deux jours avant celui où le papier doit être utilisé ; mais ce délai peut être réduit, dans les cas urgents, de plus de moitié, grâce à des séchages à haute température.
Le papier ainsi préparé en rouleaux de 200 ou 300 mètres de longueur sur une largeur de 50 cm, est engrené dans la machine rotative proprement dite, au long de laquelle il va subir les diverses opérations successives qui feront, de l'immense bande, une suite d'images artistiques.
Les premiers rouages de la machine amènent le papier au-dessus d'une sorte de châssis dans lequel se trouvent solidement fixés vingt clichés négatifs ordinaires. Quand la longueur de papier nécessaire a recouvert entièrement le châssis, le mouvement de la machine s'arrête. Automatiquement s'allument des lampes électriques très fortes, dont la lumière , agissant à la façon du soleil dans les opérations photographiques courantes, agit sur les clichés et impressionne la couche sensible que l'émulsion a déposée sur le papier.
La durée de l'éclairage est soigneusement calculée suivant la force des négatifs. La machine reprend alors son mouvement, et tandis qu'une nouvelle section de papier vient à son tour se faire impressionner, la partie de l'immense rouleau déjà transformée continue sa course et passe successivement dans différents bains de virage et de fixage. Il est ensuite séché à une température de 60 ou 80°C. Il est évident que ces opérations s'accomplissent dans des salles rigoureusement obscures.
Après séchage, le papier est découpé au massicot suivant le format ordinaire de la carte postale, 9x14 cm. On imprime les indications au verso, puis la carte est, suivant le cas, envoyée au coloriage ou livrée de suite au commerce;
Le coloriage est fait au patron ou poncif par l'emploi de feuilles minces de Celluloïd découpées suivant les contours des différentes couleurs. Dans certains cas, les cartes sont glacées soit par pressage, soit par enduit de gélatine ; quelques fois, pour les cartes de grand luxe, les tranches sont dorées.
De tous les procédés utilisés pour la reproduction des images photographiques, le procédé rotatif est, sans contredit, le plus parfait.
Ce procédé est la propriété exclusive de quelques grandes Sociétés qui l'emploient avec plus ou moins de perfectionnements et qui gardent jalousement leurs procédés de fabrication.
On utilise également ce procédé pour la reproduction de ces petits tickets offrant des vues ou des portraits de célébrités que certains marchand de chocolat ou d'autres produits donnent en prime à leurs acheteurs.
Le prix de gros des cartes postales varie suivant le procédé de reproduction ; il est actuellement de 1,50 fr à 10 francs le mille (3,75 à 25 €) pour la photogravure ; de 13 fr à 25 francs (32,5 à 62,5 €) pour la phototypie ; de 55 fr à 115 francs (137,5 à 287,5 €) pour le bromure.
Il faut rappeler pour mémoire le pailletage, fort à la mode il y a trois ou quatre ans, et que la poste dut interdire à cause des parcelles micacées qui se détachaient des cartes et se glissaient partout.
L'art n'a rien perdu à la suppression de ce procédé, pas plus du reste qu'au marasme actuel du chromo allemand aux tons criards et aux légendes baroques. Ces hideurs furent les premières atteintes dans la décadence de la carte. Hélas, ! le bromure est bien malade à son tour, en tant que reproduisant des scènes de fantaisie, et l'on peut prévoir, presque, le moment où dire carte postale, ce sera dire, sans risque d'erreur, vue photographique. P.Galland

A voir aussi : Jean Poyet et la carte postale
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