Vous avez dit : " Fautographie " ?

 

Clément Chéroux, éminent historien de la photographie, a publié en 2003 un livre remarquable, intitulé " Fautographie, petite histoire de l'erreur photographique " (ed. Yellow Now).
Il y rassemble un nombre important d'exemples de photographies considérées comme ratées : ombre du preneur de vue, qu'il appelle " l'auto-ombromanie ",
superpositions d'images, défaut d'étanchéité du boîtier à la lumière, enfin, tous ces accidents de prise de vue ou de traitement de l'image qui la font considérer comme étant ratée.

   

Francis Dumelie, fonds photographique Poyet, fautographie

Un bon exemple, issu de notre fonds Poyet : cette prise de vue datant de novembre 1946 où l'on découvre l'ombre du photographe et de son appareil…Imaginons qu'au tirage, il a pu facilement recadrer son sujet et livrer un cliché sans défaut…

Francis Dumelie, fonds photographique Poyet, fautographie

Cette photo de Jacques Henri Lartique est universellement connue. Prise en 1913, elle ne satisfaisait pas son auteur à plusieurs titres : selon les règles de l'orthodoxie photographique alors en vigueur, l'image était trois fois ratée, car floue, décadrée et déformée.

En réalité, même s'il n'a pas eu dans son champ la voiture entière, Lartigue a suivi le mouvement de celle-ci avec pour conséquence un arrière plan flou…

Francis Dumelie, fonds photographique Poyet, fautographie

 

Cette vue issue du fonds Poyet pourrait subir la même critique.

Elle a été prise par Jean Poyet pour le Lieutenant Chassaing, le 3 octobre 1933. L'identité de situation avec la photo de Lartigue est saisissante. L'arrière plan est flou, du fait que le photographe, malgré le poids de sa chambre photographique, a effectué un mouvement vers la gauche, lui permettant, malgré une vitesse de prise de vue sans doute de l'ordre du 30° de seconde, d'obtenir une image parfaitement nette de son sujet en mouvement, et le flou de l'arrière plan ne fait qu'accentuer l'idée de mouvement.

Peut-on parler de défaut ou de fautographie ?

C'est sous l'influence des surréalistes, dans les années 1925, que l'erreur photographique, la fautographie, devint un moyen d'expression dont usa particulièrement Man Ray.
On raconte qu'il acheta à Eugène Atget qui, dans les années 1900 prit quantité de clichés des vitrines parisiennes sans se soucier le moins du monde d'y voir son reflet,
une cinquantaine d'images dont une dizaine sont moirées de reflets dans les vitrines.

Francis Dumelie, fonds photographique Poyet, fautographie

Dès lors, l'utilisation du reflet devint presque systématique, ainsi cette photographie ci-contre, de Lisette Model intitulée " Premier reflet " (New York, 1939-1940, galerie Baudoin Lebon, Paris)

Francis Dumelie, fonds photographique Poyet, fautographie

Photographie de Eugène Atget, Antiquités, 21 Foubourg St Honoré, Paris (BNF)

Finalement, le temps et l'évolution des perceptions peuvent faire d'une erreur technique une création artistique qui finit par être reconnue comme telle.

Laissons la parole à Clément Chéroux, pour conclure :

" Une vitrine seule ne produit pas de hasard. Pour que le reflet existe, il faut qu'au gré de ses pérégrinations, le piéton surréaliste passe aux abords de la devanture. Mais là encore, le reflet peut être totalement dénué d'intérêt, voire le piéton d'attention. La collusion de ces deux causalités peut donc produire un résultat positif ou négatif. Le hasard est heureux ou malheureux. Les erreurs photographiques partagent la même ambivalence. " Ce n'est pas parce qu'une photographie est ratée qu'elle est bonne " affirme Jean Philippe Charbonnier, un grand photographe de reportage, malheureusement méconnu du grand public. (il est décédé en 2004).

Les photographies que nous évoquons sont de véritables perles, au sens où le conçoit la littérature… ou l'ostréiculture. Comme ces petites concrétions de nacre, précieuses et magnifiques, elles sont la bienheureuse conséquence de l'introduction accidentelle d'une impureté au cœur de la matrice… "

 

Francis Dumelie, fonds photographique Poyet, Ben, fautographie

Carton d'invitation de Benjamin Vautier, dit " Ben " pour son exposition présentée à la Maison européenne de la Photographie à Paris, en juillet 1997

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