Les bébés dans le Fonds photographique Poyet…
Il y a une vingtaine d'années, interrogeant un expert parisien réputé dans le domaine de l'estimation de la valeur des photographies, Pierre Reiner, sur la valeur du Fonds photographique Poyet,
constitué de négatifs, il me répondit - et il avait raison- qu'un négatif n'avait aucune valeur marchande, et en effet, ce sont les tirages d'époque, les fameux " vintages " qui s'arrachent à prix d'or dans les ventes.
Mais si le fonds Poyet ne vaut pas grand-chose en termes marchands, - mais qui penserait à le vendre ? - en revanche, quel trésor ethnographique ! Plus encore.
Les tirages ne montrent jamais la surface totale du négatif et bien des retouches, bien des compromissions, bien des " fautographies " y sont dissimulées.
 
Les bébés vont nous aider à découvrir les dessous de la photographie d'atelier…

fonds photographique poyet, francis dumelié

Le premier bébé photographié par Jean Poyet fut sa fille Marguerite, ci-dessus, dans les bras de sa Maman, Berthe, l'épouse de Jean Poyet, en mai 1898.

Il était alors photographe à Paris, et ne savait pas encore que les photos de son futur fils, Fernand, seraient prises quatre ans plus tard à Epernay… 
A cette époque, le bébé soigneusement langé était photographié dans les bras de sa mère, ou plus souvent de sa nourrice, car la photo n'était pas encore entrée dans les mœurs populaires.

Les premières photos de Fernand sont beaucoup plus facétieuses. Jean Poyet vient de s'installer à Epernay et parmi les matériels trouvés chez son prédécesseur, Monsieur Delzor,
mort accidentellement par empoisonnement, se trouvait cet énorme objectif qui donna à Jean Poyet l'idée d'une nouvelle théorie sur la venue des enfants au monde. 
Les petites filles naissaient alors dans les roses, les petits garçons dans les choux. Le sien allait apparaître dans un objectif…

Francis Dumelie, fonds photographique Poyet,Francis Dumelie, fonds photographique Poyet,

Dans l'une des boites contenant les photos de la Famille Poyet se trouvaient ces deux plaques : deux prises de vue à quelques secondes d'intervalle (voyez la position des doigts du bébé). Un rapide maquillage du négatif, y compris pour effacer les deux doigts de la main gauche de la maman, et le tour est joué…

Le premier bébé photographié commercialement par Jean Poyet apparaît sous le numéro 3001 au nom de Emile Mercier.

Francis Dumelie, fonds photographique Poyet,

L'enfant est tenu par sa nourrice, mais on devine qu'elle n'apparaîtra pas sur le tirage.

Le maquillage est fait côté verre de la plaque négative, à la gouache rouge.(on notera que le tirage en positif transforme le rouge en bleu-vert...)

 

La photo a été prise le 1° avril 1906.

Les premières années d'activité de Jean Poyet ne débordent pas de bébés : seulement 12 photos sur 1497 entre 1903 et 1918.

Francis Dumelie, fonds photographique Poyet,Francis Dumelie, fonds photographique Poyet,

Prises de vue n° 6005 et 6007

Pour Madame Salmon Mercier, le 30 mars 1909, le bébé est photographié dans les bras de sa nourrice, mais la tablette et le coussin apparaissent. La nounou est là, gare aux chutes…

Le style se précise, petit à petit : deux standards vont se dégager :

Francis Dumelie, fonds photographique Poyet,

Le bébé assis sur un cousin, chemise blanche et épaule dénudée.

 

 

Francis Dumelie, fonds photographique Poyet,

Non, ça n'a rien à voir avec les bébés, c'est juste pour montrer que la même sellette peut servir à autre chose qu'à exposer des bébés…

Nous sommes à Epernay, non ?

Francis Dumelie, fonds photographique Poyet,

…ou le bébé tout nu, toujours sur la même tablette.

A partir de 1919, la clientèle des bébés se renforce :

7, 30 % des prises de vue entre 1919 et 1922, léger fléchissement entre 1922 et 1924 : 6,95 %. Une nette remontée entre 1925 et 1927 à 9,33 % pour ensuite se stabiliser autour de 500 prises de vue par an sur près de 6000, et ce jusqu'en 1937, les clichés postérieurs n'ayant pas encore été enregistrés.

Et sur beaucoup de prises de vue apparaissent les difficultés de cette pratique.

Jean Poyet, d'après le témoignage de son fils recueilli en 1991, avait avec les bébés une patience à toute épreuve. Il photographia son dernier bébé quelques jours avant son décès en 1956, à 86 ans !

Francis Dumelie, fonds photographique Poyet,

Le bébé façon bête sauvage, sur une fourrure.

 

Très souvent deux prises de vue sont nécessaires pour obtenir une expression" photogénique ".

On remarque que c'est la prise de vue de droite qui a donné lieu à tirage : le bras préveneur de chutes est caché par maquillage !

Francis Dumelie, fonds photographique Poyet,

 

 

Le bébé " plein hiver " (la photo a été prise en juin 1936...)

 

 

On notera le bras maternel évidemment maquillé au tirage !

Francis Dumelie, fonds photographique Poyet,

 

 

 

 

Le bébé décidément mieux assis sans coussin qu'avec…

Francis Dumelie, fonds photographique Poyet,
Et inévitablement, le bébé malheureux, qui ne veut rien savoir…
Malgré la présence de sa Maman, juste derrière, dont on aperçoit le haut de la tête...


La photographie du petit d'homme est devenue une habitude indispensable, et même à la crêche, on ne manque pas de faire venir le photographe qui passe pratiquement de l'artisanat à l'industrie... Jugez-en à travers cette série prise par Jean Poyet le 8 février 1930 à la Pouponnière d'Epernay
Devant cette rafale de bébés, comment ne pas imaginer une nounou qui soulève, l'autre qui pose, le petit oiseau qui sort, et ainsi de suite !


Francis Dumelie, fonds photographique Poyet,
Et pour conclure, même si nous quittons un peu la sphère des bébés, je ne résiste pas à l'envie de vous montrer cette photo de famille dont 
le négatif dévoile les artifices de la prise de vue…Cliché n° 3454 du 4 septembre 1906 (Mme Thomas Auban)

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