J'ai rapidement évoqué les origines stéphanoises de Jean Poyet dans la page titrée "Jean Poyet portraitiste".
Il est en effet né à St Etienne, le 6 mai 1871. Son père était coiffeur.

Laurent Poyet, coiffeur   Laurent Poyet
Ces deux images ne sont pas datées, mais celle de gauche montre le salon de coiffure où travaillait le père de Jean Poyet à la fin du XIX° siècle, au 33 rue de Roanne
(correspondant aujourd'hui à l'avenue charles de gaulle, près de la préfecture) et on reconnait à gauche la silhouette de Laurent Poyet, le père de Jean.
Il a fini ses jours à Epernay chez Jean son fils ainé ; il y est décédé le 5 octobre 1904. Son frère Louis, le célèbre graveur était plus jeune.
Le magasin porte le nom de Durand. Or, Laurent Poyet a épousé Marguerite Durand...On peut en déduire qu'ouvrier coiffeur, il a épousé la fille du patron,
ce qui se confirmerait par le fait que dans l'acte de naissance de Jean,
leur premier enfant, l'adresse de son père est celle du salon de coiffure, au 33, rue de Roanne.

Grâce aux photos retrouvées dans le fonds, j'ai pu reconstituer la jeunesse de Jean.
Il a eu quatre frères plus jeunes que lui, dont trois sont devenus coiffeurs, et le dernier photographe, retoucheur chez Kodak.

jean Poyet  jean Poyet  jean poyet  
Les deux vues de gauches sont prises en 1885 alors qu'il est en apprentissage chez Cheri Rousseau, célèbre photographe stéphanois. Sur celle de droite, il est à Caën, chez Riocreux, en 1890, où il poursuit sa formation.
Puis il "monte" à Paris et travaillera avant de s'installer à Epernay en 1902, chez de grands maîtres comme Daireaux et Benque.
Ci-dessous, en 1894-1895. Le portrait de droite en beau ténébreux est tout à fait dans le style de l'époque !

jean poyet   jean poyet     jean poyet

jean poyet  jean poyet

La photo de gauche a pu être datée par celle de droite figurant le beau père de Jean Poyet tenant dans ses bras la petite Marguerite, fille de Jean, qui est née en 1898.
 Il est entrain de retoucher un tirage de ce portrait...On est donc sûrs que cette prise de vue date d'après 98...

C’est en 1895, le 28 décembre très exactement, qu’eut lieu à Paris la première représentation du Cinématographe Lumière. Trente trois spectateurs seulement y assistaient, dans le Salon Indien, au sous-sol du Grand Café.

Et très curieusement, ce fut Bencque, chez qui travaillait alors Jean Poyet qui, à la demande des Frères Lumières rechercha des salles afin de multiplier les séances. Sur l'image de droite, on voit Jean Poyet à l'entrée de la salle.

 

Lorsque le 27 juillet  1991, j'ai rencontré à Cannes le fils de Jean Poyet, Fernand, alors agé de 89 ans, il me racontait ainsi l' arrivée de son père à Epernay :

"Il travaillait pour des photographes à Paris, il était retoucheur surtout. Il retouchait les clichés, les agrandissements.
Ma mère et lui habitaient un tout petit logement, rue des Petits Champs, je crois. Papa nous disait que quand il voulait changer de chemise, il fallait qu'il ouvre la porte du vestibule parce qu'il n'y avait
pas beaucoup de place. Il blaguait toujours un peu. Moi, j'étais sur le point d'arriver au monde, puisque je suuis né en 1902 à Epernay. Alors que Maman m'attendait, Papa était en pourparlers pour partir
à Rio de Janeiro pour y trouver un bon emploi.
Evidemment, dans son état en plus, Maman n'était pas très chaude pour s'en aller là bas. Et puis il y a eu ce vieux photographe d'Epernay qui était malade. Il fallait qu'on lui donne un lavement. Le médecin
avait prescrit du laudanum, je crois. Les personnes qui s'occupaient de lui, sa femme et sa soeur ont dû se tromper. Comme il y avait beaucoup de produits photo, du carbonate, de l'alun, du chlorure d'or,
du cyanure de potassium,  enfin énormément de produits divers, elles lui ont fait un lavement avec je ne sais quoi, et il en est mort !
Les deux dames ont mis en vente très bon marché le fonds de commerce. Par la suite, Papa m'a dit qu'elles lui avaient vendu ça le prix d'un gros objectif !
Il n'y avait pas de magasin, on entrait au fond du jardin. Vous avez vu la maison ? La grande porte n'existait pas. Il y avait une autre petite grande porte, mais qui ne permettait pas de rentrer une voiture.
Quand même, c'était une porte à deux battants. C'était ouvert tout le temps. Il y avait des vitrines sur la rue. Les gens entraient au fond. Ils accédaient par un escalier à l'atelier de poses qui était tout vitré.
Et alors, pendant huit jours, ils n'ont pas vu un client... Les économies de Papa lui avaient permis d'acheter le fonds, mais il n'avait pas beaucoup de moyens. Il a dit à Maman :
" Tâche d'aller à crédit quelques jours encore, je sens que ça va venir, ça va venir ! " Et il se démenait. Il avait gardé des modèles de photos de chez ses employeurs. Enfin, un dimanche
- car ils ouvraient le dimanche - est entré un soldat. Il y avait un régiment de Dragons, le trente et unième, et il y en a un qui est entré. Il s'appelait Rabusson. Il a été le premier client.
Il porte le numéro 1 sur le registre...
Le dimanche suivant, il est venu chercher ses photos avec des copains... Oh ! moi aussi ! et puis Moi aussi !!!. Il a fallu acheter une tunique fantaisie, une cravache, et on photographiait les Dragons avec leur casque.
Et il a démarré comme ça !
Et jusqu'à la guerre de 14, Papa nous envoyait en vacances tous les ans, Maman, ma soeur et moi, pendant un mois, au bord de la mer, le plus souvent à Berck, Ostende, Cayeux, etc..."

27 rue Gambetta à Epernay

Lorsque Jean Poyet arrive à Epernay, succédant à Delzor décédé semble-t-il empoisonné par ses produits, il n'existe pas de magasin sur la rue, et cette image sans doute prise en 1904 – il était bien trop pauvre 
en 1903 pour envisager de tels travaux...- avec devant la porte sur la rue, Berthe, la femme de Jean Poyet, et Marguerite, sa fille de 5 à 6 ans, nous permet de nous faire une idée des lieux : derrière les ouvriers 
et le mur abattu, l'atelier qui occupait une partie de la cour, avec, au fonds, non visible ici, la maison d'habitation dans le grenier de laquelle Jean Poyet a accumulé les négatifs sur plaques de verre jusqu'à son décès en 1956.

         magasin de jean poyet en 1904  
C'est sans doute l'une des premières cartes postales éditées par Jean Poyet titrée de manière amusante, me semble-t-il "La gare" qui ne figure que bien loin, au fond à droite de l'image.
Sur le trottoir, juste dface à la première porte, Marguerite et son ombrelle, suivie de sa mère qui donne la main au tout petit Fernand. Nous sommes probablement en 1904.
Jean Poyet et sa famille

Comme toutes les familles de France, celle de Jean Poyet a connu un réel bouleversement au moment de la guerre de 14-18. Lui-même, déjà plus tout jeune (il a 43 ans en 1914...) est mobilisé, ses frères également, et dans le trésor que constitue son fonds photographique, la trace des événements se remarque par des absences : entre son installation et la guerre, pratiquement chaque année, il réunit à Epernay ses quatre frères. A partir de 1913, c'est fini...
                  la famille de Jean Poyet   la famille de Jean Poyet
Les 5 frères Poyet réunis ici dans la cour de l'atelier de Jean en 1906 et 1910.
A gauche, assis avec ses deux enfants devant lui (Paul et Jeanne) Bathélémy séparé sur l'image de son épouse Julie, par Marius, le plus jeune des frères. Ensuite, Louis, célibataire en 1906, mais marié en 1910,
Benoit de profil puis Jean avec devant lui son épouse, Berthe, et ses deux enfants, Marguerite et Fernand.
Par ailleurs, derrière le photographe sérieux, il y avait aussi le père et l'oncle facétieux
 qui a souvent mis ses enfants ou sa nièce en scène, comme nous le voyons ci-dessous.
Sa première plaisanterie, si l'on peut dire, fut cette photo truquée présentant son fils
 comme sortant d'un objectif, et on lui fit croire plus tard que comme les filles naissent
dans les roses et les garçons dans les choux, lui était né dans un objectif ! quel destin !
fernand poyet bébé

                 
        Le bain, avec des marqueurs temporels forts : la baignoire en fer blanc et les chaussures montantes noires comme en portaient tous les enfants au début du XX° siècle.
Mais l'une des plus belles images de ce fonds photographique est certainement celle présentée ci-contre, prise sans doute en 1902 ou 1903 présentant sa fille Marguerite sur les épaules de son oncle Benoit.
C'est sans doute leur fréquentation intime de l'objectif qui leur permet de montrer un tel naturel ! N'oublions pas qu'ils sont devant une chambre photographique d'atelier...On reconnaît derrière eux le décor peint présent sur la plupart des prises de vues faites au studio.

Jean Poyet avait fait son service militaire en 1892-93. Lorsque la guerre de 14 survient, il a déjà 43 ans, et fut mobilisé pendant deux périodes : du 4 août 1914  au au 16 octobre 1915, puis du 15 mars 1916 
au 18 décembre 1918. J'ai trouvé beaucoup de photographies de cette période, mais jamais datées avec précision. Surtout, je n'ai  trouvé aucune information sur le fonctionnement de son entreprise pendant 
ces deux périodes, mais il est incontestable qu'elle a fonctionné, et d'ailleurs largement développé son activité pendant les quatre années de guerre...
       jean poyet militaire    
                        Jean Poyet en 1908                                                                              Pendant la guerre de 14-18, sans pécision de date                                               En 1917
Pendant la guerre, Epernay fut bombardée de multiples fois, et l'atelier entièrement vitré dut beaucoup souffrir. Toujours est-il qu'après 1918, Jean Poyet fit construire un étage au-dessus du magasin sur la rue
   .         
 L'immeuble à droite du magasin avait été totalement détruit pendant la guerre comme on le voit sur cette prise de vue du 3 mai 1919.           A droite,  la photo date des années trente.     
                                             
marguerite poyet
Cette image est la seule retrouvée qui montre l'intérieur du magasin. A la caisse, Marguerite qui a travaillé toute sa vie dans l'entreprise familiale.
Elle date probablement de 1935 à 1940.
Jean Poyet ne prit jamais de retraite, et c'est quelques jours avant son décès, le 18 septembre 1956 qu'il a photographié son dernier bébé...

Deux témoignages d'apprentis  devenus  salariés de Jean Poyet : Jacques Damiens
Marie Thérèse Peltier qui travailla chez Poyet de 1947 à 1962
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